Madame Satan

Il est des gens que l’on ne croise que dans des villes comme Paris…. Comment sont ils nés ? Je l’ignore. Peut être l’absurdité de cet environnement hurbain est-il propice à l’apparition de fleurs de bitume comme l’a écrit quelqu’un dont le nom est vite tombé dans mon oubli. Des originaux, des demi-parias, des illuminés, des doux dingues. Des sorcières. Madame Satan, elle, fait partie de la dernière catégorie.

Je l’ai rencontré un soir d’hiver, il pleuvais je crois. C’était le hasard, c’était un de ces évènements incongrus qui vous aide à discerner les jours quand ils deviennent trop semblables à eux-mêmes. Toujours est-il que ce soir là je rentre chez moi, dans le noir et sous la pluie. Mouillée vu que je ne m’affuble jamais d’un parapluie et qu’aucun inconnu ne me propose jamais un p’ti coin d’paradis pour m’abriter. Je suis sur le seuil, devant la porte rouge de mon immeuble. Mes doigts tapent machinalement le code, je râle un eu de grelotter de froid. Je pousse la porte, respire avec plaisir dans la chaleur du hall d’entrée, dans l’obscurité. Je cherche à tâton l’interrupteur, l’enclenche. Et la lumière fut ! Me voilà nez à nez avec une apparition… et quelle apparition ! Pas celle d’une belle jeune fille à la beauté ensorcellante en tout cas… non juste l’apparition d’une vieille petite femme, toute voutée, toute noire. Et triste. Des sillons profonds sur le visage, même les meilleures sorcières ne savent pas arrêter le temps. Des yeux enfoncés dans les orbites. De minuscules lunettes sur un drôle de nez. Une Couronne affolante de cheveux argents.

Je suis donc nez à nez avec son nez crochu. Les yeux dans ses yeux inquiets et inquiétant. Mais bordel, qu’est ce qu’une petite vieille comme elle fait dans mon hall, et surtout dans le noir ? Je lui articule un « Bonsoir Madame » très poli… la contourne prudemment. Ça y est j’ai atteint la seconde porte… deuxième code d’une main tremblante… je l’entends qui s’approche derrière moi et qui dit soudain d’une voix grave et un peu caverneuse : « Faites attention ! Refermez bien votre porte… il se passe des choses étranges vous savez…. » Je me retourne, la porte d’entrée de l’immeuble se referme, j’ai juste le temps de voir un pan de son manteau disparaître… Un frisson dans le dos, je rentre dare dare chez moi… et je ferme la porte à clef ! Je reste ainsi un instant, le dos appuyé à ma porte. Je ne l’avais jamais croisé cette mamy sorcière… pourtant j’ai l’impression de connaître de vue tous les gens du quartier. Habite-t-elle l’immeuble ? Si oui je ne serais pas surprise de me retrouver vistime d’un sortilège maléfique un de ces jours. Je décide ce soir là de la baptiser Madame Satan.

Les jours passent… sans l’ombre d’une Madame Satan autour de mon immeuble… Et puis un jour de ballade dominicale voilà que je l’aperçois : tout près des Invalides… vous savez ? Là où il y a des espèces de bornes en béton. La même petite silhouette noire, voutée… et qui saute sur les bornes, en redescent, monte sur la suivante, saute à pieds joints par terre… on dirait une petite fille… elle est touchante… la vieille sorcière Madame Satan m’apparaît comme un de ces êtres un peu fous et rêveurs… je me mets à beaucoup l’aimer tout à coup. Je la contemple encore quelques instants, puis je m’éclipse. Je retourne à mes pensées pendant que mes pieds me font voyager dans Paris.

Je la revois parfois dans mon hall d’immeuble Madame Satan… Je ne sais toujours pas si elle habite ici. Elle transpire la sollitude… et si je lui offrais un beau chat noir ? Un chat qui dormirai sur ses genoux, ou qui viendrait tremper les griffes dans la pâte à crèpe quand elle en prépare pour ses petits enfants… peut être en a-t-elle après tout ? Moi en tout cas, elle ne m’effrait plus…cela me fait toujours sursauter de tomber nez à nez avec elle quand j’allume la lumière (car c’est toujours dans ces conditions que je la rencontre)… et après je souris en poussant ma porte, et en la refermant bien à clef surtout. Continuez de venir me faire peur quelques instants le soir Madame Satan !