Les larmes du Boulevard Montparnasse
Un après midi dhiver . Et oui lhiver toujours, il sen passe des rencontres quand le froid envahit les villes. Toujours est-il que le ciel était bleu acier. Un soleil blanc sur un fond sans nuages. Un vent transperçant, cinglant. Un vent qui gerce les lèvres et fait venir les larmes aux yeux, le sang au joues, aux nez, aux oreilles un peu de rouge dans un décor blème. Cest joli de regarder les visages en hiver, des images de poupées russes . Avec des mystères à dévoiler sous des manteaux trop lourds et des pulls trop épais, sous les foulards et les lainages, sous les fourrures. La valse des matriochkas sur les boulevards parisiens. Des foules emmitouflées qui tournent, qui bavardent . Bavarder sur quoi ? sur le froid bien sur parce que lhiver est rude quon se le dise . Et puis bavarder sur des frivolités, des banalités.
Et au milieu de tout ce beau monde tournoyant de laines colorées, il y avait une femme elle ne tournait pas elle elle marchait juste devant elle. Un pas puis un autre, dans ses minuscules escarpins. Elle navait pas de gros chandail tricoté ni dimmense manteau pour ce réchauffer . Non rien quune veste, légère et juste une cigarette à la main pour donner un peu de chaleur à ses doigts blancs .mais elle navait pas froid, ne croyez pas ça ! Elle navait pas froid parce quelle souffrait, et que ce nétait pas du gel. Elle navait pas froid parce quelle pleurait, et que ce nétait pas dû au vent sur ses yeux noirs de beaux yeux noirs trop maquillés et desquels coulaient de petites rivières qui venaient geler sur les joues. Un flot qui naissait au coin des paupières, emportant avec lui le rimmel qui lui faisait ses yeux plus noirs, et qui mourrait à la commissure des lèvres. Elle était si pâle, elle navait pas les joues roses des autres marcheurs. Fantôme translucide, nintéressant personne . Elle ne regardait pas les passants, elle ne regardait pas les autres visages, et moi je le regardais pleurer au milieu de ces gens. Je la voyais gracieuse porter la cigarette à ses lèvres pâles. Jimaginais peut être le départ dun amant . Je lui construisais des aventures dignes des grandes épopées de romans russes, avec des sentiments exacerbés, des drames. Elle aurait été si belle dans des pages de Tolstoï.